Chronique

Lancôme : substituer l’évidence à l’opportunisme.

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La géographie du luxe se déplace. Du Japon en 2012, à la Chine et la Corée du Sud depuis la pandémie, et tout récemment vers l’Inde. Pour s’implanter stratégiquement là où il faut être, là où les tendances et le futur du luxe élisent domicile, les marques de luxe mobilisent tous leurs talents pour faire l’événement. Prêtes à tout pour ne pas louper le train en partance pour la croissance et la pérennité, elles en oublient parfois leur individualité patrimoniale pour séduire leurs consommateurs internationaux en mettant en valeur leurs codes quitte à effacer les leurs. Nous avons vu ces pop-up stores au wow effect, ces installations mirifiques, ces soirées et expositions Gatsbyciennes. Elles nous ont vendu du rêve mais en vendant parfois l’unicité de leur histoire.

Mais n’oublions pas que les consommateurs à l’étranger désirent vivre l’héritage de ces Maisons de luxe. Et s’il y a bien une marque qui n’a pas omis ce détail et qui commence l’année 2024 avec un coup de maître artistique, c’est bien Lancôme, la Maison de luxe française. Un coup de maître sculpté dans la glace. La sculpture est installée au cœur de l’espace du Harbin Ice and Snow World, le festival culturel chinois : l’attraction mondiale la plus populaire de l’hiver. Le patrimoine de Lancôme, ici implanté, parvient à se faire autochtone, là où il devrait être allochtone.

© Lancôme

Cette sculpture ne représente pas seulement les codes de la Maison (les roses et son incontournable sérum n°1 Advanced Génifique qui trône au centre de l’œuvre) mais elle incarne aussi toute la symbolique de la capitale française, berceau de la marque. Il y a l’Arc de triomphe mais également la Tour Eiffel qui émerge au cœur de la composition florale, et un détail qui vient compléter le tableau général : la colombe de la paix qui fit son apparition sur l’affiche dessinée par Picasso en 1949 pour le Congrès mondial des artisans de la paix, organisé à Paris.
Cette installation pourrait passer comme étant une occasion saisie stratégiquement pour servir un objectif de visibilité en s’établissant au moment opportun, celui d’un festival mondialement connu. Mais en réalité, elle est prodigieusement construite de sorte à se fondre dans le paysage. C’est comme si elle avait toujours été là. C’est une évidence.

Cela s’explique par un fin entremêlement des codes de la Maison et de ceux du patrimoine chinois. Si l’on regarde de plus près la composition florale, reflet du Domaine de la Rose Lancôme, nous voyons se dessiner un dragon : animal-signe du nouvel an chinois de cette année 2024, le plus puissant de l’astrologie chinoise de surcroît. La silhouette reptilienne ondule, les ronces se font griffes, ses moustaches s’élèvent au-dessus du toit du monument parisien. La roseraie du Domaine de la Rose s’anime en s’incarnant dans cette figure mythologique à la grande symbolique pour la Chine. Le lien entre la Chine et la Maison parisienne se fait indéfectible alors que cette sculpture a été designée par l’artiste chinois Jacky Tsai. Cette hybridation de la rose et du dragon est la reproduction de la célèbre œuvre de l’artiste : Splendid Flower Dragon sculptée en bois en 2018, en glace en 2024. L’association de Lancôme avec la Chine se fait péremptoire.

Et cela va encore plus loin. La marque met en lumière son sérum prodigieux avec une telle finesse qu’il apparaît comme avoir été conçu au Harbin Ice and Snow World, et la sculpture qui l’encapsule semble avoir été établie en dehors même du temps de l’événement. Le flacon en dessous de l’Arc dont la glace est la gardienne, fait de cette œuvre d’art comme un temple chinois, à l’image du Domaine de la Rose qui est pour Lancôme son "temple du parfum".

Le sérum est décrit comme possédant "des textures radicalement sensorielles", et son temple de glace incarne chacun de ses bénéfices. Il est raffermissant comme une caresse glacière; il apporte l’éclat à la peau comme la sculpture brille à la nuit tombée; il est naturel bien entendu puisque la marque use d’ingrédients de plus en plus renouvelables comme l’illustre encore une fois la glace, produit de la nature; et ce matériau cristallin reflète la priorité absolue de Lancôme : la transparence.
Tout l’univers graphique du produit mit en images sur les packshots (le souffle glacé, pur, aux teintes bleutées, couleur du rêve et thème du festival) est incarné dans la matière.
Ce festival culturel autour de la glace partage le même univers que celui du produit phare de la marque, un lien subtilement amené qui ne fait que renforcer la combinaison sans frontières de Lancôme et de la Chine.

Plus qu’un ancrage dans les codes du patrimoine chinois qui saisirait le momentum d’un événement populaire pour les consommateurs ciblés par le biais d’une stratégie opportuniste, la Maison, avec brio, fait de son installation une œuvre qui revêt l’évidence : sans la mention "Lancôme" sculptée au sommet, nous pourrions passer sur son chemin comme nous passerions devant un élément du paysage historique chinois.

En ce début d’année sous le signe du dragon orné de roses Lancôme, la Maison projette les bénédictions de 2024 sans user de mots mais de glace. Des bénédictions qui se disent visuellement plutôt que verbalement. Une sculpture pour nouveau monument qui symboliserait la naissance des nouvelles villes jumelles à l’image de Paris et Rome.
C’est le jumelage de Paris et Heilongjiang ou plutôt de deux patrimoines jumeaux : Lancôme et la Chine.

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