Cyrielle Villepelet McKinsey

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« 80% des ventes de luxe sont aujourd’hui influencées par le digital » Cyrielle Villepelet, McKinsey.

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Prédominance de l’online, augmentation des prix, recrutement… Décryptage du rapport "The State of Fashion 2022" de McKinsey avec Cyrielle Villepelet, directrice associée en charge du pôle Apparel Fashion and Luxury au sein du bureau parisien du cabinet.

Pauline Duvieu

Quelles sont les trois choses à retenir de l’année 2021 pour le secteur du luxe ?

Cyrielle Villepelet

Le rapport note l’émergence de cinq grandes tendances au cours de l’année 2021, qui devraient perdurer. Tout d’abord, et en toute logique, l’industrie doit sécuriser la sortie de la crise sanitaire et s’adapter à la mutation des attentes de la clientèle. Il est aussi nécessaire d’anticiper les nouvelles frontières du digital, des métaverses aux NFTs en passant par le social commerce, tout en poursuivant les efforts en matière de durabilité. Enfin, le recrutement de talents sera l’une des clés pour relever les défis à venir.

Pauline Duvieu

Le rapport prévoit une augmentation du prix de vente des produits de luxe de +3,2% en moyenne en 2022. Qu’est ce qui explique cette hausse ?

Cyrielle Villepelet

Cette augmentation est liée à trois facteurs : le rééquilibrage des prix au global ; l’inflation des matières premières et des coûts liés aux transports ; et enfin, la très forte demande de la part des consommateurs qui accroit sensiblement la désirabilité des maisons.

67% des cadres dirigeants de l’industrie de la mode s’attendent à une hausse des prix en 2022. Si l’augmentation moyenne prévisionnelle est effectivement de +3,2%, 15% des cadres prévoient une hausse supérieure, à 10%.

Louis Vuitton, Chanel et Dior, par exemple, ont déjà annoncé des augmentations sur le cuir, les accessoires et les parfums. Les prix ont grimpé dans toutes les régions mais encore plus en Europe et aux Etats-Unis pour tendre vers un rééquilibrage avec la Chine. L’écart territorial des prix des biens de luxe reste cependant encore fort.

Pauline Duvieu

Que peut-on tirer des disparités des ventes entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe ?

Cyrielle Villepelet

Aux Etats-Unis et en Chine, dès 2021, les ventes avaient déjà retrouvé leurs niveaux de 2019 et ce, malgré la crise sanitaire. En Europe, cette reprise ne se fera pas avant 2022. La Chine a beaucoup moins souffert de la pandémie en raison du recentrage des clients locaux vers leur propre pays. En 2019, la clientèle chinoise en Chine représentait 35% contre 65% hors Chine. En 2020, elle était de 70% en Chine et de 30% hors du pays. Cette année, nous nous attendons plutôt à une clientèle chinoise consommant à 60% au sein du pays et à 40% en dehors des frontières.

Pauline Duvieu

Que peut-on attendre du numérique en termes de ventes pour les marques cette année ?

Cyrielle Villepelet

Si la digitalisation a fortement progressé ces dernières années, la crise sanitaire a intensifié ce phénomène. Les marques de luxe utilisent des plateformes en ligne de plus en plus sophistiquées et 80% des ventes de luxe sont aujourd’hui influencées par le digital. Le numérique fait donc partie intégrante du parcours client, que ce soit pour préparer l’acte d’achat ou, par la suite, pour présenter un produit sur les réseaux sociaux. Il y a une claire évolution de cette tendance ces dernières années. En 2019, la part de l’online au sein des ventes du secteur du luxe était de 12% en Europe, 14% aux Etats-Unis et 16% en Chine. En 2021, elle était d’environ 22%. Selon nos estimations, la part de l’online au sein des ventes du luxe devrait s’établir autour de 25% d’ici 2025.

Pauline Duvieu

Les réseaux sociaux pourraient-ils devenir les premiers canaux digitaux de vente pour les marques ?

Cyrielle Villepelet

Le social commerce est une grande tendance du secteur mise en lumière dans notre rapport. Il comporte deux dimensions. D’une part, avec la crise sanitaire, les marques ont exploité les réseaux sociaux pour diffuser les contenus autour de leurs nouvelles collections : c’était alors le seul médium de communication disponible ! La caisse de résonance des réseaux sociaux est très puissante : en 2020, le show Gucci a par exemple été vu par 35 millions de personnes via Weibo, Youtube, Twitter ou encore Facebook. D’autre part, les réseaux sociaux ne sont plus juste un moyen de s’informer mais de consommer. Depuis la crise sanitaire, 74% des clients indiquent être prêts à acheter des produits via ces canaux et 70% précisent que la mode est l’une des catégories de produits qu’ils achètent le plus. La part du social commerce sur le total des ventes online était déjà de 10% en Chine et de 3% aux Etats-Unis en 2019. On peut prévoir que, d’ici 2023, ces chiffres vont grimper à 15% en Chine et à 5% aux Etats-Unis, tandis que le mouvement devrait commencer à s’immiscer en Europe.

©McKinsey

Pauline Duvieu

Selon vous, quelles sont les initiatives NFT et métaverse les plus percutantes de ces derniers mois ?

Cyrielle Villepelet

Les maisons de luxe s’intéressent de près aux NFTs et à la mode virtuelle avec trois objectifs en tête : créer de nouvelles sources de revenus, engager davantage les « primo-accédant » du luxe et implanter un nouveau type de commerce qui repose sur la créativité et la communauté.

Certaines des grandes maisons se positionnent à l’avant-garde de ses sujets, comme Balenciaga ou encore Gucci. Cette dernière a notamment noué un partenariat avec la plateforme gaming Roblox, surfant sur l’hyper-digitalisation des usages en période de Covid et sur la forte demande pour les tenues et les accessoires permettant de personnaliser les avatars. Tout en développant une offre plus accessible, Gucci a ainsi pu positionner son ADN vers un public jeune, la fameuse GenZ. À noter que Roblox, au premier trimestre 2021, a attiré pas moins de 200 millions d’utilisateurs uniques chaque mois, dont 67% âgés de moins de 16 ans.

La maison Prada, quant à elle, s’est associée à Adidas pour créer un NFT dont une partie des bénéfices a été reversée à Slow Factory, une ONG au service du climat, prenant ainsi en compte le développement durable dans cette initiative digitale.

Il reste pourtant beaucoup de doutes autour des NFTs et des métaverses, comme l’ont exprimé plusieurs acteurs du secteur qui craignent une potentielle bulle. Du temps est encore nécessaire pour saisir le véritable potentiel de cet univers cryptoluxe en termes de croissance, d’expérience client, de business model et de retour sur bénéfice. Pour l’heure, les marques sont en phase d’expérimentation et d’investissement.

Pauline Duvieu

Qu’est-ce que les NFTs et les métaverses ont changé dans la manière d’appréhender le digital pour les marques ?

Cyrielle Villepelet

Les NFTs se vendent dans la sphère digitale ce qui peut créer un problème quant à l’authenticité des produits, par exemple si certains NFTs en utilisent des reproductions digitales sans autorisation des marques. L’économie virtuelle implique un changement d’ère majeur et cette réflexion a notamment amené LVMH, Prada et Richemont à lancer un consortium autour de la blockchain Aura qui vise à proposer un nouveau standard en matière de certification numérique. À travers l'émergence des NFTs, de nouveaux services sont développés par les diverses parties prenantes.

Pauline Duvieu

Comment le luxe va t-il pouvoir attirer une clientèle plus mature dans ces univers ?

Cyrielle Villepelet

Il est certain que ces univers sont plutôt destinés à un public jeune, impliqué dans le monde du gaming et des métaverses, avec qui les maisons peuvent créer un dialogue et construire une communauté. Cependant, le web 3.0 en est à ses prémices, tout comme le e-commerce il y a 15-20 ans. L’industrie ne peut pas s’écarter de ces tendances, mais il ne s’agit pas de s’éloigner d’une certaine cible en cassant les codes de la marque au profit de profils plus jeunes.

Ce nouveau canal digital s’apparente à de la recherche, à de l’innovation, et les maisons veulent s’assurer que la tendance se fasse avec eux et à leurs conditions. L’objectif ? Garder la main pour que l’expérience client numérique soit à la hauteur de celle en boutique. En réalité, ce qui compte, c’est de casser les barrières entre physique et digital pour créer un lien à travers différents points de contact client. Quelques projets de ce type ont déjà vu le jour, comme les murs digitaux Adidas au sein des magasins où l’on peut acheter des NFTs et les défilés Burberry projetés en boutique.

Pauline Duvieu

Quels autres enjeux sont à relever dans les années à venir ?

Cyrielle Villepelet

Un facteur qui me semble important de mentionner est la recherche de talents. Spécialistes du numérique, experts en RSE… les maisons se doivent d’investir maintenant sur ces profils pour développer des projets d’avenir. Cependant, l’artisanat, comme les métiers liés au travail du cuir ou des métaux précieux, reste le cœur du luxe et peu de jeunes se tournent vers ces champs de compétence. Dénicher les artisans de demain qui prendront la relève sur ces savoir-faire reste primordial afin d’éviter les ruptures de stocks liées au manque de main d'œuvre.

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