Chronique
La couleur, ingrédient ultime de l’expérience de marque.
Publié le par Rémi Le Druillenec
Il y a 10 ans déjà, la Maison Saint Laurent abandonnait son mythique logo YSL dessiné 46 ans plus tôt par l’illustrateur Cassandre pour adopter une identité que certains qualifieraient de générique ou manquant de personnalité. De nombreuses maisons de luxe (Balmain, Berluti pour ne citer qu’elles) ont ensuite emboîté le pas en adoptant des logotypes moins marqués et offrant une lecture et une reconnaissance simplifiées. Parallèlement à ce mouvement d’uniformisation des identités visuelles, nous assistons à une montée en puissance de ce que nous appellerons « la stratégie de la couleur ». Quelle est l’origine de cette stratégie ? Quelles en sont les règles ? De quelle(s) manière(s) l’expérience de marque peut-elle s’en trouver augmentée ?
La vie en rose, online et offline.
Il faut seulement 200 ms à notre cerveau pour reconnaître une couleur (vs 300 ms pour un mot). Et ça, les réseaux sociaux l’ont vite compris dans la mise au point de leur algorithme. Pour émerger dans le feed, les marques ont dû se doter d’armes plus puissantes que les mots (et donc que leur nom) en préemptant des territoires coloriels fort. Dans l’univers des couleurs, il y a même des stars : utilisez du rose ou de l’orange et le potentiel de viralité de votre post s’envole. Ces modes de fonctionnement dépassent le simple cadre de l’image de marque et envahissent désormais les points de vente et autres points de contact physiques des marques. Un des maîtres en la matière n’est autre que Jacquemus, qui façonne chacun de ses pop-up stores comme un potentiel post instagram qui crée le buzz : lockers roses fluos ou encore piscine bleu azur ont inondé les feeds ces derniers mois. Le retail devient média et doit donc être pensé comme tel.
Une stratégie des couleurs tentante, mais pas sans risques.
Notre cerveau est fasciné par les couleurs. Selon une étude américaine, la couleur permet d’augmenter la reconnaissance de marque de près de 80 % (source Color Matters, Jill Morton). Elle peut remplir différentes fonctions et stratégies. La première est celle du all-over. Elle a le mérite d’être très efficace et impactante tout en permettant d’étendre la couleur à l’ensemble de l’écosystème de marque, pour proposer une histoire omnicanale. C’est ce qu’a fait Valentino à l’occasion de son défilé automne-hiver 2022, où le Pink PP créé en partenariat avec Pantone a envahi la collection, les accessoires, le set-up du défilé, mais aussi l’intérieur et les façades des boutiques, jusqu’aux bus et cabines téléphoniques. Si le résultat est terriblement efficace du point de vue de l’impact, il faut cependant s’interroger sur la légitimité de cette couleur rose dans l’univers de Valentino, qui des années durant a capitalisé sur son rouge institutionnel.
D’autres maisons adoptent la stratégie de la couleur-repère dans laquelle s’illustre parfaitement Bottega Veneta. Depuis 2021, et afin de réveiller l’univers atone de la maison vénitienne sans pour autant tout transformer, Daniel Lee (Directeur Artistique de l’époque) a adopté le vert pour ponctuer son univers. Pop-up stores, mobilier-accessoire à l’intérieur des boutiques, ou pièces de certaines collections se parent désormais de cette couleur vitaminée. Faut-il y voir un clin d’œil de la marque à son engagement pour une consommation plus durable (l’annonce a été faite récemment d’une garantie à vie offerte pour ses sacs) ou simplement un caprice de designer qui disparaîtra avec l’arrivée de Matthieu Blazy ?
La troisième stratégie est celle du signal éphémère et cette fois-ci, c’est Louis Vuitton qui s’en est emparé. La couleur devient ici un marqueur fort de l’ensemble des prises de paroles éphémères de la maison, et offre une expérience d’immersion totale et renouvelée à chaque nouvel opus. Cette stratégie, très séduisante du point de vue créatif, permet-elle pour autant d’établir une signature facilement reconnaissable sur le long terme ? La stratégie de la couleur multiple et variée pour l’éphémère, ne présente-t-elle pas le risque de faire apparaître les expressions permanentes fades et peu attractives ?
Néanmoins, la perception des couleurs peut varier d'un pays à l'autre. Par exemple, en Chine, le rouge est associé à la chance et au bonheur, alors qu'en Occident, il peut être associé à la colère ou à l'amour passionné. Ainsi, sans même parler de ce que chaque individu projette dans une couleur, ces biais culturels semblent rendre difficile l’affiliation durable d’une marque à une couleur.
Quand la couleur se suffit à elle-même.
Dans la catégorie des couleurs de marques puissantes, le Graal est de ne plus avoir à signer de son nom ses prises de parole et ses espaces, mais seulement d’afficher sa couleur signature. L’enjeu, au-delà d’une reconnaissance de marque immédiate et universelle, est bien évidemment d’avoir un territoire ultra-signé et désirable. Lorsqu’en novembre 2021, LVMH a annoncé le rachat du joaillier préféré des Américains, le bleu Tiffany était sans aucun doute l’asset de la marque le plus connu du public. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle depuis cette date, Alexandre Arnault à la tête de la maison, multiplie les expressions de marque où le bleu 1 837 C (référence Pantone exclusive à la maison) est la réelle star. Écrans de Times Square à New-York, façade d’hôtel au Brésil, Immersive box à Paris, il semble n’y avoir aucune limite.
Luxe ultime, que peu de marques peuvent se permettre en cas de collaboration : se contenter de passer à sa couleur le symbole de la marque partenaire. Tiffany l’a fait avec Supreme et Patek Philippe en 2021 et commence cette année 2023 avec l’annonce d’une paire de sneakers Nike flanquée d’un swoosh bleu. Certains commentateurs jugent la proposition fainéante, sans percevoir que seul un très gros travail de marque autorise ce minimalisme apparent. Une stratégie payante pour Tiffany qui annonçait récemment dépasser pour la première fois le milliard de résultats opérationnel courant (soit le double du résultat de la marque lors du rachat par LVMH).
Que ce soit pour immerger dans des univers et histoires fortes, porter un message ou une vision de marque unique, ou encore créer de la désirabilité autour de produits iconiques, la couleur semble être devenue un élément incontournable dans la construction d’expériences de marque mémorables.