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« Le phénomène NFT est l’arbre qui cache la forêt d’un champ d’action plus vaste que sont les métavers » Stéphane Galienni, Balistikart.
Publié le par Eric Briones
BLSTK, le bureau de tendances de l’agence Balistikart, dévoile une analyse de 150 pages intitulée "WTF the NFT" qui décrypte le phénomène des "jetons non fongibles" au travers de 50 cas d’études NFT appliqués aux différents univers du luxe. De la mode à la beauté en passant par le tourisme ou les vins et spiritueux, décryptage avec Stéphane Galienni, co-fondateur de Balistikart et directeur de l’étude.
Eric Briones
Pourquoi le monde du luxe est-il tant fasciné par les NFT ?
Stéphane Galienni
La technologie NFT fascine autant qu’elle déroute le petit monde du luxe, c’est un sujet "clivant" qui suscite le débat au sein des grandes maisons. Comme à chaque révolution digitale, on retrouve quatre postures de marque.
Tout d'abord, les "crypto-avant-gardistes" sont les start-up "hackers" du luxe ou les esprits frondeurs qui se sont emparés relativement tôt du sujet NFT autour de projets expérimentaux et/ou de concepts innovants qui légitiment la vision pionnière de la marque et sa capacité à rebondir rapidement sur une tendance émergente.
Dans un second temps, les marques en vue "crypto-opportunistes" ont su suivre la tendance pour profiter pleinement du buzz médiatique qui entoure le phénomène NFT mais sans prise de risques et autour de leviers parfaitement maîtrisés en marketing de luxe : la "collaboration" artistique, les éditions collector ou encore les ventes aux enchères au profit d’associations caritatives sont les opérations les plus notables sur l’appropriation du concept NFT.
Plus en retrait et avec une prise de recul, les grands groupes du luxe "crypto-pragmatiques" implémentent déjà les NFT dans leur stratégie d’entreprise à long terme autour des technologies blockchain et des nouveaux espaces marchands 3.0.
Enfin, on observe une majorité d’entreprises "crypto-sceptiques" qui se concentrent sur d’autres chantiers prioritaires car pour eux, le NFT est une tendance digitale éphémère, un épiphénomène de mode sans lendemain, à la Clubhouse.
Eric Briones
Pourquoi, aujourd'hui, une marque de luxe doit-elle s'investir dans les NFT ?
Stéphane Galienni
Tout d’abord, pour anticiper les nouvelles technologies du web 3.0 et attirer une nouvelle clientèle de luxe "digital first" à fort pouvoir d’achat en crypto-monnaie. L’objectif est de préempter le sujet à court terme tout en installant une stratégie à long terme, à l’image de Dolce & Gabbana qui a réalisé une vente record pour Collezione Genesi, sa première vente NFT de biens virtuels qui s’est soldée à 5.8 millions de dollars en septembre dernier. La marque compte bien réitérer l’opération en fidélisant une nouvelle cible "e-crm" autour d’une segmentation de clients UHNWI, les "crypto-riches".
Ensuite, parce que le phénomène NFT est l’arbre qui cache la forêt d’un champ d’action plus vaste que sont les métavers, ces nouveaux lieux immersifs d’interactions sociales et de transactions marchandes rendues possibles grâce à la technologie blockchain. Les signes avant-coureurs sont déjà là, de l’acquisition d’œuvres "crypto-art" à la robe Haute Couture virtuelle, en passant par la jouissance de propriétés virtuelles NFT, la dernière tendance du moment. Selon Dappradar, les volumes d’échange sur les métavers tels que The Sandbox, Decentraland, CryptoVoxels et Somnium Space se sont élevés à 105.8 millions de dollars en moins de sept jours, fin novembre. Ce n’est plus tellement la question du "pourquoi" qui se pose mais celle du "comment" : les marques doivent se concentrer et se recentrer sur leurs objectifs à court, moyen ou long terme avant de se lancer dans cette nouvelle surenchère digitale 3.0.
Eric Briones
Quelles sont les vertus marketing des NFT au-delà du phénomène spéculatif ?
Stéphane Galienni
L’une des premières vertus marketing est la diversification de l’offre luxe : grâce aux NFT, les marques vont pouvoir développer un nouveau marché de biens virtuels ou "assets digitaux" pour profiter des deux secteurs en plein boom que sont, d’une part, les jeux vidéos - un marché qui pèse 300 milliards de dollars et qui génère en 2021 deux fois plus de revenus que l’industrie du cinéma et de la musique - et d’autre part, les univers immersifs de type métavers, qui préfigurent le web de demain selon les grands acteurs du GAFAM dont Mark Zuckerberg.
Une autre vertu importante du marketing NFT est de toucher de nouvelles cibles très difficiles à atteindre sur le digital, qui de plus, sont diamétralement opposées : la génération alpha ou crypto-native, et les UHNWI qui possèdent un gros portefeuille de crypto-monnaies - qu’on dénomme les "baleines" dans le jargon communautaire. La nouvelle génération de pré-ados absorbe plus facilement et plus rapidement les nouvelles technologies que leurs aînés - les Gen Y et Z - et essayent déjà de vendre leurs "collectibles" sur Opensea, la plateforme la plus populaire pour vendre ou acheter des NFT, l’équivalent de eBay pour la Gen X, Vinted pour la Gen Y et Z.
Ces jeunes, nés dans les années 2010 et que l’on surnomme "génération de verre" du fait de leur rapport à l'écran comme filtre du monde réel, montrent leur envie de modéliser leurs apparences digitales via la réalité augmentée ou des avatars virtuels, car c’est finalement là où ils passent la plupart de leur temps. Animal Crossing, Roblox ou Fornite sont les nouveaux espaces de jeux où ils vont, aussi, développer leurs identités de jeunes adultes à travers une représentation d’eux-mêmes "modélisés" en 3D.
Eric Briones
Quelles sont les exigences créatives quand on crée un NFT ? Quelles sont les interconnexions avec les codes d'une marque ?
Stéphane Galienni
Le NFT n’est qu’un outil parmi d’autres que n’importe quelle marque peut exploiter, tous secteurs confondus, de la grande consommation au luxe, en passant par les univers premium. L’une des premières stratégies serait d’identifier de nouveaux ambassadeurs de marques "cryptos" autour de collaborations qui font sens pour le lancement d’une nouvelle gamme ou d’une série limitée de produits tel que cela se pratique dans des univers mode, beauté ou vins et spiritueux.
On peut aussi penser à de nouveaux pop-up stores virtuels dans les quartiers prisés des métavers en vogue - The SandBox ou Decentraland, par exemple - dont le concept créatif serait totalement en phase avec l’expérience attendue de marque.
Par ailleurs, il est possible d'imaginer un scénario NFT qui joue sur l’extravagance du luxe, à la Balmain. La griffe propose en effet d’acquérir une paire de sneakers virtuelles mais qui s’accompagne de privilèges selon le montant de l’enchère finale portée par l’acquéreur. À chaque montant dépassé, l’expérience est ainsi augmentée : accéder au défilé Balmain, vivre en immersion dans les coulisses du défilé, etc…
Eric Briones
Quelles sont vos trois best practices sur le sujet ?
Stéphane Galienni
Notre rapport décrypte plus de 50 études de cas dans les différents domaines du luxe. Parmi elles, une des initiatives que je trouve particulièrement intéressante est le projet de Simone Faurschou qui s’est emparée du sujet NFT relativement tôt autour d’un concept créatif redoutablement efficace, à tout point de vue : lancement de produits, stratégie RP, marketing digital, communication B2B… En avril dernier, cette jeune créatrice - ex-collaboratrice d'Iris Van Herpen - a annoncé sur les réseaux sociaux sa nouvelle collection de joaillerie inspirée par la culture crypto, dont chaque pièce sera vendue en NFT en amont du lancement physique. Tout simplement baptisée "Blockchain", cette collection se compose de 12 blocs en or et or blanc Fairminded de 18 carats chacun dont certaines pièces sont serties de diamants taillés à la main. La représentation visuelle de chaque bloc de la collection est régulièrement proposée aux enchères sous forme de NFT sur la marketplace KnowOrigin.io autour de "drops" savamment orchestrés sur Instagram et Twitter. L’acquéreur reçoit une représentation numérique du collier "virtuel" sous forme de NFT et détient de facto le bloc physique de la collection à venir. L’enchère de la pièce 4/12 se situe à 1.70 ETH, soit 6.945 dollars, et les trois premières ventes sont déjà soldées.
Un autre projet qui a retenu notre attention est la version métavers du MET Gala, un défilé virtuel d’avatars qui s’est habilement joué en parallèle de ce grand temps fort médiatique du monde de la mode. La créatrice Rebbeca Minkoff et la marque de cosmétiques professionnels NYX ont ainsi profité de l’événement pour déployer une stratégie de co-branding en partenariat avec Yahoo. Pour l’occasion, la make-up artist et influenceuse Mimi Choi a conçu un maquillage spécifique pour NYX qui, grâce à une capture hologramme, a été transformé en "skin 3D" pour avatar et mis aux enchères sous forme de NFT. L’acquéreur sera le seul à pouvoir utiliser ce skin en réalité augmentée pour les réseaux sociaux ou à l’appliquer sur son avatar dans différents métavers de type Second Life ou Zepeto. Il était ainsi possible d’acheter les robes de Rebbeca Minkoff au sein d'un pop-up store virtuel accessible depuis une simple page web.
Enfin, citons le cas de Republic Realm qui vient d’investir 4.3 millions de dollars pour l'achat d'un terrain sur The Sandbox afin de se positionner comme l’un des premiers acteurs du "virtual real estate" des métavers. En effet, la firme propose déjà à la vente un archipel d’îles paradisiaques avec tout le confort du luxe, bien que virtuel : villas avec piscine, lagon bleu, etc. Un Super-Yacht s’est déjà vendu pour 650.000 dollars en novembre dernier, ce qui démontre que le business model peut s’avérer rentable à moyen terme.