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« Le luxe est le vecteur d’une croissance augmentée pour de nouveaux métiers. » Jacques Carles, Centre du Luxe
Publié le par Eric Briones
À l'occasion de la 21e édition du Sommet du Luxe et de la Création ce mardi 28 mai, Eric Briones a pu s'entretenir avec Jacques Carles, président-fondateur du Centre du luxe et de la création. Il partage son analyse approfondie des évolutions et des défis actuels du secteur.
Journal du Luxe
Pouvez-vous, en quelques mots, présenter cette 21e édition du Sommet du Luxe et de la Création ?
Jacques Carles
Notre société recherche avec une dilection particulière tout ce qui relève des engagements personnels en faveur d’une plus grande harmonie sociale et d’une préservation attentive de notre planète.
Le monde du luxe est souvent précurseur de ces changements à travers les talents qui le portent et les comportements qui le stimulent.
C’est dans cet esprit que le Sommet 2024 se propose de réunir les acteurs du luxe sur le thème des Talents engagés car le luxe n’est plus seulement un signe de distinction sociale, mais un miroir qui reflète une vision du monde et qui déploie des valeurs partagées.
Le luxe est ainsi le vecteur d’une croissance augmentée pour de nouveaux métiers, de la main comme de la vente et du management, et au-delà vers de nouveaux territoires. Ce mouvement trouve son origine dans trois dynamiques qui lui sont propres :
- celle issue du renouvellement de la création et des innovations technologiques qui lui donnent une empreinte immatérielle,
- celle provenant de la transmission des savoir-faire, des plus anciens aux plus récents qui lui confèrent son empreinte intemporelle,
- celle qui anime l’ouverture au monde étendant son empreinte universelle à travers les métiers qu’il porte.
Et ce sont ces nouvelles empreintes que nous proposons de découvrir grâce aux témoignages des personnalités qui interviendront au 21e Sommet du luxe et de la création, avant d’ouvrir la Cérémonie de remise des Talents du Luxe et de la Création qui clôturera la journée.
Journal du Luxe
En quoi le digital et l’IA sont un booster pour la créativité et l‘innovation dans le luxe, et comment sont-ils en train de refaçonner les métiers du luxe ?
Jacques Carles
Le digital et surtout l’IA sont des accélérateurs de compétences qui traduisent, en fait, l’action d’un progrès technique sur les capacités humaines à créer ou à améliorer les performances.
Et les entreprises de luxe, comme d’ailleurs, toutes les entreprises engagées dans de fortes croissances, qu’elles soient énergétiques, aéronautiques , ou écologiques utilisent l’IA comme rebond de savoir faire et stimulateur de créativité.
Loin des effets de substitution que peuvent légitimement craindre des métiers de services (juridiques, journalistiques, assurantiels, etc…) ce sont des effets d’amplification des capacités industrielles et d’émergence de nouvelles sources de création qui peuvent en provenir.
C’est comme si un nouveau flux d’énergie venait stimuler le potentiel entrepreneurial, tant au plan humain qu’organisationnel, mais aussi de gestion des stocks ou encore d’optimisation des process industriels.
On pourrait parler de changement d’orbite de l’offre de luxe qui va de pair avec la démultiplication des niveaux de clientèle liée à la croissance démographique et à l‘enrichissement du monde. De l’hyper luxe qui en bénéficiera directement notamment au niveau des prix que d’une meilleure approche des classes moyennes supérieures qui profiteront d’une plus grande diversité des produits et de services, ainsi que d’une personnalisation toujours plus affinée des parcours d’achat.
Journal du Luxe
Comment assurer la transmission de savoir faire uniques pour préserver l‘intemporalité du luxe ?
Jacques Carles
L’intemporalité du luxe s’apparente étroitement à celle des courants artistiques et à leur expression culturelle qui en façonnant les sociétés rythment le temps. Pourquoi la France est-elle encore "la fille ainée du luxe" ? Parce que les industries qui se sont construites depuis le 17ème siècle sur des savoir-faire déjà anciens ont su intégrer, au fur et à mesure des avancées technologiques et des découvertes scientifiques, la créativité des métiers d’art et l’influence des artistes.
Et les différents secteurs du luxe ont su garder une dynamique suffisante pour continuer à assurer la transmission des savoir-faire et accumuler ainsi ce qui constitue cette épaisseur intemporelle de la beauté et des objets d’exception.
Par exemple le secteur de la bijouterie-joaillerie, où toutes les marques de renommée mondiale sont françaises et qui exportent 95% de leur production, s’appuie sur l’École de Haute joaillerie qui transmet avec d’autant plus de vigueur que les industries et ateliers qui le composent connaissent une croissance continue... tout en portant haut et loin un pouvoir d’influence qui vaut toutes les ambassades du monde.
Dans l’intemporalité vit donc la capacité productive et une énergie culturelle mondiale, ce que beaucoup de secteurs économiques français ont perdu ces cinquante dernières années.
Journal du Luxe
Comment nourrir l’audace et l’élégance dans le luxe ?
Jacques Carles
La formulation de la question suppose que l’audace et l’élégance ont des besoins permanents de stimulation garce à un apport d’énergie approprié.
Pour l’audace il s’agit avant tout d’une disposition native qui peut être accompagnée mais qui ne peut être inventée. Il s’agit donc de créer un environnement propice à la libération de cette force naturelle par des conditions tenant au savoir-faire du prescripteur, marque, manager, directeur artistique, bref tout acteur de la chaine qui va du créateur au client. Quand on apprécie les différentes candidatures au talent de l’audace c’est donc ce couple de force intrinsèque et de contexte de liberté consentie que nous cherchons à évaluer.
Pour l’élégance c’est plutôt une qualité inexprimable par des mots mais ressentie de manière instinctive qui envahit l’être et s’impose comme l’évidence d’une forme de beauté à travers le sens qui est sollicité, la vue, l’ouïe, l’odorat, le gout et le toucher. On ne nourrit pas l’élégance mais on peut, la aussi , créer les conditions de son épanouissement par la multiplication des essais, tâtonnements, tentatives jusqu’à ‘apparition du chef d’œuvre. La Joconde ou le new-look. Mais ces conditions nécessitent une immense patience et des investissement souvent importants jusqu’à l’aboutissement rêvé.
Journal du Luxe
Comment nourrir l’attractivité de jeunes talents ? Puis l’engagement des collaborateurs dans la durée ?
Jacques Carles
L’attractivité d’un jeune talent se nourrit de plusieurs ingrédients. Tout d’abord la volonté permanente de créer en se remettant en question pour s’améliorer encore et toujours. Ensuite le fait d’être soutenu par des découvreurs de Talents qui apportent à la fois la reconnaissance et l’expertise mais aussi la critique et les conseils nécessaires.
Enfin la rencontre de la réussite qui implique une traduction commerciale de l’œuvre. Il n’y a donc pas de formule toute faite mais la conjonction de ces trois forces.
Quant à l’engagement de collaborateurs dans la durée il y va de l’art de diriger et de fidéliser ce qui est, en soi, un sujet inépuisable d’analyses et de visions souvent contradictoires, sans compter que le temps peut autant éroder que consolider.