Julien Tornare ZENITH

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« Nos montres sont actuelles, intemporelles et éternelles, quelles que soient leurs dates de création, leurs circuits de vente. » Julien Tornare, Zenith

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Julien Tornare dirige la manufacture Zenith depuis 2017. Il a mené en six ans un plan de transformation assez unique pour cette marque et dans cette industrie. Il a surtout a doublé le chiffre d’affaires de Zenith dans la division horlogerie du groupe LVMH (TAG Heuer, Bulgari, Hublot). Mandaté par Jean-Claude Biver, alors pilote global de l’horlogerie LVMH, Julien Tornare découvre une marque en petite forme, un peu perdue, un peu poussiéreuse.

Son produit phare n’est pas une montre, mais un mouvement, "El Primero", primé à de nombreuses reprises comme chronomètre… Et plus connu que la marque elle-même. La vénérable manufacture du Locle, fondée en 1865, est riche d’une formidable histoire séculaire, mais elle ne correspond plus aux standards de production à son arrivée. Étant donné que la manufacture se compose de 18 bâtiments situés sur le flanc d'une colline escarpée, cela comporte son lot de défis. À son arrivée, sa première préoccupation a donc été d'optimiser l'efficacité des lignes de produits et de moderniser les designs, tout en gardant à l'esprit la tradition et l'ADN de Zenith. Le travail a ensuite été mené sur une nouvelle approche marketing, en mettant l'accent sur le développement de l'activité de commerce électronique ainsi que sur le développement de l'amélioration des points de vente. Julien Tornare va s’atteler aux 12 travaux d’Hercule chez Zenith. Il incarne un management qui agit pour ses équipes, qui parlent même de la "philosophie Tornare". Meneur, stratège à l’écoute, convaincu d’un intrapreneuriat en interne, il orchestre un plan de transformation et applique une narration stratégique qui vise à faire briller l’étoile Zenith comme leader du chronographe.

Alexis de Prévoisin

Julien, vous êtes à la tête d’une marque qui (re)signe d’une étoile son logo, que cela symbolise-t-il ?

Julien Tornare

L’étoile de la marque était oubliée comme… étiolée. J’ai remis l'étoile complètement devant, et bien sûr dans le logo ! C’est un formidable asset pour la marque : quel symbole génial. Le mot "star" a une connotation méga positive : étoile de sport, d'Hollywood, d’objet céleste, de lumière… Et puis, nous avons de formidables histoires à raconter avec la marque comme celle de Charles Vermot, véritable résistant au moment de la crise du Quartz, qui a sauvé les mouvements mécaniques de Zenith en les cachant au moment du virage interne demandé par une direction US de l’époque. L’arrivée de LVMH a permis de redonner du sens, de la vision et de la durée pour Zenith.

Alexis de Prévoisin

Alors comment la Maison Zenith a-t-elle repensé sa stratégie ?

Julien Tornare

Nous avons commencé par le produit à l’image vieillotte. Nous avions beaucoup trop de références produits… ce qui est le propre des équipes de passionnés ! Nous avons réalisé un resserrement avec quatre clés d’entrée de collection. J’ai fait une sorte de tri entre « les pièces de musées » qui servent le patrimoine de la marque, et les produits en collection qui sont le fer de lance des ventes. Je me suis fait une image de « serial killer » au début, mais la vérité, c’est que nous avons Streamliné nos gammes, et nous nous sommes concentrés sur les 150 références qui marchent en vente de première main. Nous avons aussi ce mouvement incroyable, El Primero : un mouvement 100% fabriqué manufacture avec de nombreux grand prix. Il est au service des montres et des collections pour offrir une montre véritablement nommée « manufacture ».

Alexis de Prévoisin

Côté marketing, quelle a été votre recette ?

Julien Tornare

Avec les équipes, nous ne voulions pas appliquer ce que l’on appelle "le marketing de la nostalgie", même si le patrimoine d’une facture de 163 ans est immense. Je suis parti de l’idée que les inventeurs du mouvement légendaire étaient encore vivants. Alors je les ai réunis avec les équipes, et nous avons entendu un discours de startupper dans la bouche de nos anciens de la manufacture.  Les valeurs de reconquête étaient posées : audace, authenticité, innovation, excellence. La marque est jeune, certes sérieuse, et ne doit surtout pas être écrasée par son passé mais bien aller de l’avant.

Alexis de Prévoisin

Quel bilan tirez-vous de l’année 2022 pour Zenith ?

Julien Tornare

De 2017 à 2019, nous avons travaillé les fondamentaux : la plateforme de marque, les collections, l’héritage, et les nouvelles recettes. À ce moment-là, je vois aussi monter aussi en flèche la valeur des anciens modèles et je teste une vente avec Philips qui se solde par un énorme succès ! Nous avons aussi travaillé sur notre héritage alors pour remettre en circulation des montres vintage. Conséquence de tout cela, nous signons une année record en 2022, nous avons doublé notre chiffre d’affaire (NDLR : le CA est passé de 75MCHF à son arrivée à 120M€, source de la banque Morgan Stanley, passant de 220 à 340 employés au Locle). Le chiffre d’affaires n’est que la conséquence de vos actions et votre vision. Nous avons travaillé surtout sur la désirabilité et les actifs de la marque. Les études sur le luxe démontrent que le segment de l'horlogerie a le vent en poupe et la seconde main un vrai relai de croissance.

Alexis de Prévoisin

Comment travaillez-vous la seconde main chez Zenith ?

Julien Tornare

Vrai sujet que le marché secondaire ! Des collectionneurs de nos montres m’avaient confié en 2019 leurs déboires en achat : problèmes de fiabilité, d’authenticité, d’état… Je me suis dit : pourquoi ne pas récupérer d’anciens modèles pour les revendre certifiés, garantis trois ans, repris et remanufacturé par Zenith ? Nous l’avons fait à notre niveau et j’ai compris la formidable résonance dans l’expérience client : la manufacture peut créer et vendre « à vie » une montre de notre marque. Ce créneau vintage est très particulier pour être bien traité : il part de la marque et se traite dans les points de vente. Il est donc limité à cinq boutiques et à la manufacture pour Zenith. Cela représente 100 pièces annuelles avec… un sacré problème de sourcing. Nous sommes la première marque qui fusionne première et seconde main ainsi, et la seconde main devient presque le marketing de la première main pour les clients. Nos montres sont actuelles, intemporelles et éternelles quelles que soient leurs dates de création, leurs circuits de vente.

Alexis de Prévoisin

Quels sont aujourd’hui vos best-sellers et vos nouveautés pour le salon Watches & Wonders de Genève ?

Julien Tornare

Sur le salon Watches & Wonders, nous opérons le grand retour de la collection Pilot (ndlr. nom breveté en 1888 par la marque). Nous sommes les seuls à apposer le nom Pilot sur nos cadrans, nom associé à l’aviation et aux pionniers de l’air. Nos bestsellers restent les Chrono master, relancés aussi par le digital 2017. La collection DEFY a connu un spectaculaire rebond en 2022 également et toutes sont équipées de notre célèbre mouvement El Primero.

Alexis de Prévoisin

Au-delà du marketing de papier glacé, Zenith a marqué les esprits par l’histoire de Charles Vermot, presque symbole de la résistance suisse contre le Quartz ?

Julien Tornare

Il y aurait un film à faire là-dessus ! Une formidable histoire à raconter qui part de l’interne de Zenith, sur le héros de l’horlogerie suisse, comme écho effectivement à la crise qu’a traversé l’horlogerie. Lorsque la direction de Zenith a décidé de cesser la production de l'El Primero en 1975, au moment de la crise du Quartz, l’horloger Charles Vermot a pris l’initiative de protéger secrètement l'El Primero dans un grenier pour les générations futures en rassemblant tous les plans techniques et les outils nécessaires à la production du mouvement. En les cachant dans une partie murée du grenier de la manufacture, il a accompli un acte héroïque qui est devenu la pierre angulaire de l’héritage durable de l'El Primero. Grâce à lui quelques années plus tard, la manufacture a pu relancer les chronographes intemporels El Primero et l’entreprise. C’est cette authenticité que nous aimons raconter chez Zenith.

Alexis de Prévoisin

Pourquoi est-ce important pour une maison horlogère d’investir dans vos magasins, dans l’expérience client ?

Julien Tornare

Nous avons inventé la Watch Clinic pour inviter littéralement nos fans à plonger au cœur d’une montre de la manufacture et vivre une expérience inoubliable avec nos horlogers. Installé sur un établi d’horloger et accompagné d’un instructeur horloger, vous découvrez les bases de l’horlogerie mécanique, l’art et la science des chronographes et l’héritage préservé de la restauration de montres. La Watch Clinic voyage dans le monde entier, dans nos magasins, au Locle et sur les salons : nous avons réalisé plus de 100 cessions horlogères sur le dernier salon Watches & Wonder. Il faut surtout faire voyager l’expérience de la marque.

Alexis de Prévoisin

Quelle stratégie comptez-vous déployer en 2023, et en particulier sur le retail ?

Julien Tornare

Le retail est d’abord un levier fantastique de vente, d’expression de marque. Nous continuons d’ouvrir des magasins en gardant un circuit de revendeurs. Nous avons une présence retail – assurant aussi la seconde main en direct - par cinq magasins à Ginza, Dubaï mall, Singapour, Shanghai, et au Bon Marché à Paris. Ces magasins sont des ambassades et nous gardons aussi des distributeurs qui sont très importants, assurant un bon équilibre. Les détaillants ont une culture locale et des clients depuis 2 ou 3 générations souvent, ce que n’aura pas même le meilleur des directeurs de magasin qui arrive en poste. Nous avons de belles ambitions pour la marque : de nouvelles boutiques, le retour de la collection Pilot et des évènements Watch Clinic. En pure expérience client magasin, nous avons créé une malle de voyage qui constitue un cérémonial de vente : les montres sont présentées comme le fruit d’une histoire et d’un voyage et mini-musée. Même si vous vendez une montre neuve, il faut raconter cette histoire.

Alexis de Prévoisin

Quelle est l’expérience client Retail chez Zenith ?

Julien Tornare

Nous avons voulu créer, même dans de petits espaces, des expériences : celle de la malle de voyage et puis nous avons créé le "story bar". Nous voulions faire rêver les gens avec nos histoires. Le story bar fonctionne avec de petites histoires à découvrir qui déclenchent une émotion au contact de la marque : l'histoire de Charles Vermot, de Gandhi, de nos ambassadeurs… Les très bons vendeurs savent qu’il ne faut pas vendre immédiatement, mais surtout donner envie et laisser faire les choses par l’émotion. Nous avons encore à progresser par le lien entre les produits, les histoires, la technologie. Il y aurait même un parcours initiatique à créer d’une certaine façon. Je demande surtout à nos vendeurs d’être agiles et savoir comprendre les clients entre ceux qui veulent du design, ceux amoureux de mécanique ou ceux qui veulent du storytelling.

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre approche digitale et GenZ ?

Julien Tornare

La marque doit être moderne et contemporaine ! L’horlogerie vient de l’âge de la pierre. Le digital sert à dégager une image contemporaine. Nous sommes sur les réseaux sociaux bien sûr, et je réponds même parfois en direct à nos clients. Nous avons retiré la sélection par genre sur le site : notre site est no Gender notamment pour cette génération nouvelle. Nous avons rajeuni de 9 ans l’âge de nos clients qui est de 37 ans désormais. Nous avons une image plus punchy et plus cool. Nous avons réussi à instaurer ce que j’appelle le "cool factor" ! Le digital est surtout un accès à l’information incroyable et nous la traduisons chez Zenith par l’authenticité des histoires. Côté digital, j’observe le phénomène Metaverse et l’approche que Zenith peut avoir mais je ne veux pas aller trop vite : c’est pour moi de l’expérience digitale de contenu. Nous irons à notre rythme, au bon moment.

Alexis de Prévoisin

Rétrospectivement, comment avez-vous géré le Covid ?

Julien Tornare

Paradoxalement, même si je suis conscient que beaucoup en ont souffert, cette période de suspension nous a permis d’accélérer notre transformation en cours, et elle nous a fait gagner du temps, notamment en interne et sur la gestion des flux de production. Elle a notamment permis de renforcer notre politique e-commerce, qui était au programme, en quelques mois seulement au lieu des deux ans planifiés et qui réalise aujourd’hui presque 8% de notre CA.

Alexis de Prévoisin

Parlons SAV, ce dont aucune marque ne parle.

Julien Tornare

Le circuit SAV est mal compris par les clients, dans sa durée et son coût, dans ce moment de réparation et d’expérience client avec la marque. J’aime bien suivre les clients dans leurs achats et leurs suivis aussi de requêtes. La meilleure métaphore pour comprendre le SAV, est de comparer la montre avec la voiture. Le temps normal de SAV d’une montre est de huit semaines et le prix de SAV doit être de 10% du prix de la montre. Montre et voiture se comparent comme des engins mécaniques qui demandent de l’entretien, car la mécanique est sensible à son environnement. Pour la voiture, elle fonctionne quelques minutes par jour sur un « seul plan », quand votre montre vous accompagne toute la journée en "3D" et subit de nombreux accidents à votre poignet. Votre voiture passe au moins une fois par an au garage quand votre montre y passe… tous les 5 ans en moyenne ! Alors faisons plus de pédagogie auprès de nos clients pour expliquer cela, le rapport au cout, au temps… et nos clients bichonneront leur garde de temps sans suspicion.

Alexis de Prévoisin

Cette industrie a deux "pain point", l’attente et l’indisponibilité de stock ! Commentaires ?

Julien Tornare

Attention à bien discerner les choses. Certaines marques ont "joué" ou "surjoué" l’attente. La vente uniquement à d’anciens clients, par exemple, touche la limite du système. Chez Zenith, votre garde-temps sera disponible sous quelques jours ou quelques semaines, et je suis fier de cela pour notre industrie. Il y a deux choses à bien distinguer également : l’attente et l’arrogance. Le second fait des dégâts considérables en expérience client. Notre discours est simple : nous restons une marque à volume dont 100% est manufacturé Zenith. L’attente s’explique par un discours clair à nos acheteurs.

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre ambition de marque ?

Julien Tornare

Clairement de prendre le leadership de chronographe. Ce n’est pas la précision en tant que telle qui compte, c’est l’aspect héritage de meilleur chronographe, le plus précis et surtout inchangé. Nous avons reçu à nouveau le prix du meilleur chronographe en 2021 pour le contemporain Chronomaster Sport. Zenith a marqué les esprits des collectionneurs en présentant une collection-capsule Héritage, composée de 10 mouvements du très rare Calibre 135-O, à l’origine destinés uniquement aux Concours de chronométrie, restaurés et décorés mains.

Alexis de Prévoisin

Quelle est votre philosophie de marque ?

Julien Tornare

Tout part de notre slogan : "Time to reach your star" ! Et des valeurs de performance, d’excellence, d’authenticité. J’appuie ces valeurs auprès de nos collaborateurs. Et je demande aussi un certain esprit d’entreprise en interne : nous évaluons les employés autour de trois initiatives prises chaque année. Le management doit accepter aussi les erreurs avec ce mode de fonctionnement. C’est aussi un parcours d’accomplissement pour chacun individuellement.

 

Zenith est parti à la conquête des étoiles. Une marque de luxe se doit d’innover, de bousculer les codes, d’envisager l’avenir et aussi séduire. Zenith avait oublié ses codes du luxe et presque son passé glorieux ; la voilà qui file au firmament.

Propos recueillis par Alexis de Prévoisin, expert retail et brand content, auteur du livre "Retail Emotions, retail in motion".

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